Valtech Axelboss : La LME dans la Distribution 2 ans après

Par Joanna Barjot, Manager et Fabien Regost, Senior Consultant (Axelboss)
 
Dans un contexte difficile (ralentissement de la consommation, crise financière, nouvelles exigences environnementales, …), la LME (Loi de Modernisation de l’Economie) est adoptée en 2008 pour « libérer les potentiels, redonner l’envie d’entreprendre, défendre le pouvoir d’achat ». Dès sa promulgation, cette loi qui vise pourtant à introduire plus de transparence et de souplesse entre les acteurs économiques, provoque de nombreux débats et ravive les tensions entre industriels et distributeurs tant elle s’avère complexe en termes d’application mais aussi d’interprétation. D’ailleurs, le volet spécifique concernant la réduction des délais de paiement a donné très rapidement lieu à des accords dérogatoires dans plusieurs secteurs (Bricolage, Jouet, …).

Deux ans après, le bilan de la LME est mitigé et les effets attendus remis en question par tous les acteurs impliqués.
Ainsi, des distributeurs comme Darty ou Auchan ayant fait l’objet d’assignations pour pratiques abusives à l’égard de leurs fournisseurs, en viennent à remettre en question l’applicabilité de cette loi en invoquant la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Les industriels quant à eux s’indignent de la LME et de ses effets négatifs sur le déséquilibre des relations avec les distributeurs, déséquilibre qui se serait aggravé à leur désavantage depuis l’entrée en vigueur de la loi.

Certains juristes réclament donc une nouvelle formulation de la LME plus explicite et  détaillée pour éviter tout problème d’interprétation ; d’autres encore s’interrogent sur la véritable application de cette loi ou encore sur son impact réel en ce qui concerne le pouvoir d’achat.

Mais indépendamment de ces débats, et sans chercher à les remettre en question ou à les alimenter, la LME, de par la pression qu’elle exerce sur les coûts, les stocks et la trésorerie, a eu un impact indéniable : elle a entraîné des changements profonds en terme d’organisation interne avec une prise de conscience de l’importance de la fonction Supply-Chain.

A ce titre, la LME joue le rôle d’un véritable accélérateur de projets d’optimisation Supply Chain sur l’ensemble des maillons de la chaîne : depuis le référencement des produits jusqu’à la livraison du client final, en passant par l’approvisionnement et l’exploitation entrepôt…

 

 
Des approvisionnements sous contrôle

La gestion des assortiments, sous l’angle marketing, fait de plus en plus appel à des fonctions transverses et décloisonnées chez les distributeurs. Cela prend des formes diverses, comme par exemple dans cette enseigne du groupe Kingfisher, qui met en place un outil de construction du merchandising, qui réconcilie les visions marketing et logistiques. Cela se traduit souvent par un gros travail d’analyse et de renégociation des équipes en place, pour adapter les conditions logistiques (Franco, délais et conditionnements notamment) aux besoins.

On assiste ainsi au renouveau d’organisations Supply-Chain étendues, qui prônent en particulier des processus et des modes de travail en Category Management. Dans cette optique, la filiale commune du groupement des Mousquetaires a été restructurée et un pôle Supply Chain a pu être constitué pour chaque enseigne, intégrant à la fois les opérations physiques et les fonctions de pilotage.

Des approvisionnements réussis nécessitent une mesure efficiente : niveaux de stocks, taux de rotation, taux de service amont et aval, mais aussi et depuis peu des indicateurs plus fins sur le coût de détention d’un article. De nombreuses directions informatiques lancent des opérations massives d’investissement pour assurer la maintenance et l’évolution de leurs systèmes d’information. Les outils mis en place permettent d’identifier et de traiter systématiquement des articles en fin de vie, mais aussi d’estimer les coûts « cachés » sur les articles non vendus (coût d’immobilisation, de manutention, de déménagements, de reconditionnement voire de vente à solderie, et en dernier recours de destruction). La plupart des enseignes ont également défini des systèmes de « mise en performance » des fournisseurs, qui feront à l’avenir l’objet de pénalités automatiques, inscrites systématiquement dans les conditions générales de vente. Certaines, jusqu’alors fortement investies dans des processus décentralisées où chaque magasin était libre de gérer ses commandes, se dotent d’outils spécialisés de pilotage des stocks en magasins, similaires à ceux qui peuvent exister sur les entrepôts.

Du fait de la visibilité sur les coûts, un arbitrage rationnel est désormais rendu possible entre les différentes filières : le direct, le cross-docking alloti ou non, ou le stockage. A ce sujet, on note que dans le secteur du Bricolage la maturité des intervenants est variable, alors même que ces critères d’agilité deviennent prépondérants et presque rédhibitoires dans la Distribution. Ainsi, dans une enquête récente, portant sur près de 250 industriels d’une grande enseigne de Bricolage, moins de la moitié des sondés s’estimait capable de traiter des flux en cross-dock !

L’Import est de mieux en mieux maîtrisé, ses spécificités et ses risques sont désormais mieux connus des enseignes : les encours de commande (principalement les « stocks flottants » dans le cas de l’Import) sont appréhendés dans une approche de coût complet, mais les problèmes de lissage de l’activité logistique sont encore récurrents. Il n’est pas rare que plusieurs dizaines de containers stationnent dans les ports de débarquement, en raison de « goulots d’étranglement » sur la chaîne en particulier lors des pics d’activité saisonniers que connaissent certains secteurs où l’import connaît de très fortes progressions.

 

 
Des volets logistiques et transport sous surveillance

Dans ce contexte de flux tendus et d’optimisation amont, le maillon opérationnel de la chaîne est légitimement impacté : entrepôts, exploitation et transport, tous les acteurs sont mobilisés.

A commencer par l’immobilier, poste de coût fixe substantiel, c’est un des leviers majeurs d’optimisation et toutes les enseignes tendent à saturer leurs capacités de stockage. Une fois de plus, le phénomène est particulièrement marqué dans le secteur du Bricolage compte tenu de la faible valeur ajoutée de la majorité des produits par rapport à leur coût de stockage.

Dans ce secteur, les différentes enseignes n’hésitent plus à saturer les surfaces : plutôt que de supporter des frais pour des surfaces inexploitées, elles préfèrent dimensionner leurs moyens au plus juste des besoins – quitte à faire appel à un débord ponctuel en saison ou en cas de pics de volumes. Les démarrages d’activité et les livraisons de bâtiment s’étalent désormais selon le planning de montée en charge des volumes et de croissance de l’activité.

Les clients dont les superficies s’avèrent surdimensionnées multiplient les démarches pour amortir leur vide : prospection vers des clients en saisonnalité inversée, recherche d’activité complémentaire pour écraser au maximum les coûts fixes avec des volumes additionnels.
L’objectif recherché est bien d’atteindre le meilleur ratio produit/ coût au mètre carré ; voire même de mutualiser à cette occasion les moyens humains
et matériels avec des activités connexes.

L’enjeu de cette optimisation réside bien dans l’accélération du temps de rotation de la marchandise sur le site ou comment passer le maximum de flux dans le minimum de superficie et  toutes les pistes de réflexions doivent être envisagées pour ce faire :

A court terme, des solutions « quick-wins » peuvent être mises en place avec des matériels adaptés à la typologie de produits pour densifier le nombre de références au mètre carré. Des réorganisations de l’occupation de la superficie peuvent également générer des gains de place rapides : optimisation de l’utilisation des quais, des surfaces extérieures ou encore des zones d’attente.

A moyen terme, le développement de flux rapides tels que le transit ou l’éclatement est une piste essentielle de progrès. Ce développement nécessite une étude préalable approfondie quant à la faisabilité au niveau des fournisseurs (capacité de production / délais / échanges EDI) mais aussi la rentabilité du projet par rapport aux différents postes de coûts impactés sur la chaîne (renégociation de tous les contrats d’approvisionnement / coûts transport).

A long terme, il s’agit de repenser l’organisation globale de la Supply Chain : Quel schéma directeur serait le plus pertinent ? Quel réseau de plates-formes régionales et/ou centrales serait le plus efficace ? Les barycentres actuels sont-ils toujours valides en fonction de l’évolution des zones de chalandise, des sourcings fournisseurs ou des liaisons transport et de leur quote part respective ? Dans le cadre du plan d’expansion de l’enseigne, les capacités des outils d’exploitation sont-elles toujours adaptées et dimensionnées au plus juste ?

Pour le transport, les objectifs d’optimisation des moyens sont également d’actualité : chaque mètre carré de camion est précieux et la tendance est également à la saturation des moyens (en temps de kilométrage « à vide » mais aussi en superficie occupée)

Les enseignes mettent en place des tableaux de bord pour mesurer et piloter leur activité transport ; elles poussent la démarche jusqu’à intéresser leurs prestataires aux résultats avec des systèmes de bonus/malus par rapport aux niveaux de performance atteints.

Mais le remplissage optimal du camion ne doit pas se faire au détriment de la qualité du chargement : une fois encore, les réflexions d’optimisation sont donc menées pour la recherche des plus « justes équilibres » sur toute la chaîne du transporteur au magasin :

Equilibre entre optimisation du remplissage camion et charge à la réception en magasin (hauteur maximale des palettes ou lourdeur voire dangerosité des chargements)

Equilibre entre fréquence de livraison magasin et taux de remplissage camion selon les quantités commandées
Problématiques et arbitrage sur le choix des supports de livraison, le nombre de ruptures de circuits de préparation, les jours de livraison fixe magasin ou pas …
 
Ainsi, la LME deux ans plus tard s’avère être un formidable accélérateur de projets d’optimisation Supply Chain.

Elle a entraîné des transformations profondes : en amont, les réflexions sur les assortiments mobilisent les directions d’enseigne et reposent les fondamentaux du marketing de l’offre. Mais ces réflexions se font désormais en concertation avec tous les acteurs de la chaîne et les projets d’optimisation pour être efficients  doivent être menés avec les différents services plus que jamais en interdépendance : marketing, achat, approvisionnement, logistique et transport.