m-santé, la France en retard ?

par Caroline Noublanche, Présidente de Prylos et expert français du marché de la mobilité
 
Lors du colloque annuel Tic&Santé, le 1er février dernier, Michel Gagneux, président de l’ASIP, déclarait « La France commence à prendre un retard avéré en matière d’e-santé. Les outils existent, mais les freins structurels sont puissants».

Face à ce constat, Caroline Noublanche, présidente de la société Prylos et experte en mobilité, envisage l’avenir de la m-santé en France et  souligne l’effort nécessaire du gouvernement pour son développement rapide.
Le succès des applications actuelles de m-santé, auprès du grand public et des professionnels, révèle une réelle attente pour des solutions plus riches.

Actuellement,  17.000 applications de m-santé sont disponibles dans les principaux stores du marché, une catégorie spécifique leur étant même dédiée. Certaines applications, à vocation utile, créent la surprise. Lancée par la Croix Rouge, l’application mobile « Sauvez des vies» a connu un succès remarqué lors de son lancement (plus de 100 000 téléchargements en quelques jours).

Au côté d’applications de bien-être (ma grossesse, iSommeil…), on trouve de plus en plus d’applications de prévention, notamment celles proposées par des compagnies d’assurance (Kisovki d’ AXA Santé, Zerotracas de MMA, Besoin d’aide de Mondial Assistance…).

Les professionnels de santé sont également utilisateurs de services mobiles : accès aux bases de données de médicaments, recommandations officielles, encyclopédies médicales… En 2010, plus de 50% des médecins utilisaient un smartphone ou un PDA de façon régulière dans leurs activités quotidiennes de traitement (contre 25% en 2004, selon Kalorama).
Si ces applications mobiles se déploient rapidement sur le marché, des usages plus poussés de lien entre un patient et son médecin, de suivi d’une pathologie ou de mesure, sont-ils possibles ? Quelles seront les solutions de santé innovantes de demain ?

Les ruptures technologiques, une opportunité pour le développement de la m-santé

Les ruptures technologiques qui ont eu lieu permettent d’affirmer qu’une véritable m-santé est techniquement possible. Des capteurs, des appareils de mesure sans fil (glucomètre, spiromètre, pèse personne …) sont disponibles, commercialisés et permettent de remonter des informations de suivi.   L’arrivée massive des tablettes tactiles sur le marché devrait agir comme un catalyseur : enfin, un terminal grand public, qui permet de mutualiser différents usages, autour d’un écran tactile qui sert d’interface pour le patient et les professionnels, équipé de Bluetooth pour communiquer avec des capteurs/devices, une caméra … et des usages ludiques qui favorisent l’adoption et la prise en charge d’une partie du coût par l’utilisateur. Il est aujourd’hui envisageable d’imaginer une véritable solution de santé à domicile, une des nécessités face au manque de médecins dans certaines régions.

La m-santé constitue un enjeu majeur pour de nombreux pays dans le monde. Dans les pays émergents bien sûr, où des dispositifs comme Sana se développent. Aux Etats-Unis aussi, de nombreux dispositifs existent déjà et permettent de valoriser l’apport de la technologie mobile dans la qualité et l’efficacité des soins de santé (17% des possesseurs de téléphones mobiles ont recherché de l’information médicale ou santé avec, étude Mobile Health 2010).  Et en France ? D’un point de vue démographique et économique, il est indéniable qu’avec une population vieillissante, des maladies chroniques en forte évolution et un système de santé économiquement en difficulté, il est temps de développer une offre de services alliant prévention, suivi et gestion de la perte d’autonomie.  Ces trois objectifs doivent être le moteur du développement de la m-santé en France.

Le nécessaire accompagnement du gouvernement pour une diffusion en masse

Le panorama du secteur est positif : les technologies sont prêtes, les utilisateurs ont montré leur intérêt pour la m-santé et des entreprises sont déjà actives sur le sujet. Mais le marché reste frileux. Certes, le sujet n’est pas simple car il implique une redéfinition des pratiques et des rôles des professionnels, la nécessité de veiller au respect de règles de sécurité et de confidentialité des données et du cadre réglementaire en vigueur.
Face à ces barrières, la première étape sera d’installer le terminal à domicile et de proposer des contenus ciblés afin de susciter l’intérêt du plus grand nombre.

L’impulsion du secteur nécessitera une implication forte des industriels, qui devront être accompagnés par des actions du gouvernement pour créer un marché de masse.

Pour que la m-santé puisse se diffuser rapidement, les opérateurs quadruple-play (SFR, Free, La Poste, Darty… ) et les acteurs de l’innovation, comme Google, ont un rôle à jouer en commercialisant des offres packagées. En prenant l’exemple des séniors qui vivent de plus en plus longtemps et majoritairement en bonne santé, il est pertinent d’installer dès maintenant, à domicile, un terminal équipé d’un portail de services dédiés. Avec pour objectif le développement d’une communication intergénérationnelle, ces offres peuvent apporter des services de prévention et de santé  par la suite.
Aujourd’hui, le gouvernement affiche la volonté de traiter la m-santé, au travers d’initiatives comme la mission « Vivre chez soi » ou le thème Tic&Santé, comme axe des Investissements d’avenir.

Au-delà  de ces initiatives d’innovation, le gouvernement devra accompagner les industriels pour accélérer le développement de la m-santé. De façon concrète, deux pistes peuvent être envisagées par les autorités : tout d’abord, la mise en place d’un système de réduction fiscale incitant au déploiement rapide du marché et, dans un second temps, des actions de cofinancement de  l’équipement des foyers.

Pour exemple, le premier appel à projets Tic&Santé, portant sur le suivi à distance des personnes dans leur lieu de vie (capteurs, domotique..),  a été doté d’une enveloppe de 10 millions d’euros. Une enveloppe équivalente permettrait de co-financer l’équipement d’environ 50 000 foyers d’un terminal de m-santé.

Les autorités doivent engager dès maintenant les actions d’accompagnement des industriels afin  d’amorcer le déploiement de ces technologies auprès des personnes qui en ont le plus besoin. 2011 pourrait ainsi être l’année porteuse du succès de la m-santé en France.