« L’échec du Cloud souverain français était prévisible » (avis d’expert)

Georges Lotigier, président de Scalair, opérateur, intégrateur et hébergeur de Cloud français, fait le lien entre échec du Cloud souverain et maturité du marché des revendeurs de Cloud.

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Georges Lotigier, président de Scalair

L’année 2015 a définitivement sonné le glas du « Cloud à la française », le projet de Cloud souverain lancé par le gouvernement en 2009. Après la reprise de Cloudwatt par Orange en début d’année, c’est donc le deuxième projet, Numergy, placé sous procédure de sauvegarde déjà depuis le mois d’octobre, qui a finalement été racheté par Numericable-SFR au mois de décembre.

Le Cloud souverain : décryptage d’un échec

De l’avis des professionnels de l’IT en France, le projet de Cloud souverain de l’Etat était un échec prévisible car il ne s’est pas fait sur la base d’une réflexion pragmatique incluant, par exemple, des consultations auprès des vrais experts qui font le marché, des entrepreneurs, etc. Ce projet a vu le jour grâce à des financements importants de l’Etat et sur la base de grandes annonces politiques, mais sans véritable réflexion, ni cap clairement défini.

Techniquement, l’une des raisons des échecs des Cloud souverain réside dans la maturité du marché des revendeurs de Cloud. Les offres Cloud sans services complémentaires sont généralement rares, les clients s’orientent naturellement vers des intégrateurs ou des hébergeurs proposant des services infogérés. De même, beaucoup de clients adoptent un modèle de Cloud hybride pour plusieurs raisons (conservation d’anciennes applications, contraintes liées aux licences des éditeurs, performances, sécurité, etc.). Les modèles de Cloud hybride comportent des serveurs ou environnements physiques dédiés et des ressources Cloud sur des environnements mutualités (VM, stockage etc…). Les Cloud souverains ne pouvaient pas répondre à cette demande du marché avec un modèle basé exclusivement sur un réseau de revendeurs et sur des machines virtuelles. De même qu’ils n’avaient pas toute la richesse que peuvent proposer certains gros offreurs de Cloud (Amazon, Google, Microsoft, etc.). Nous pouvons donc expliquer cet échec par une inadéquation entre l’offre et la demande.

Néanmoins, on remarque que les demandes des clients sur des environnements mutualisés augmentent progressivement chaque année, à mesure que se répand la notion de paiement à l’usage de la ressource informatique. Les entreprises ne veulent plus payer de la ressource informatique qui n’est pas utilisée. Elles ont aussi besoin d’être réactives et d’aller vite, avec des ressources informatiques déployées immédiatement pour les besoins des nouveaux projets. C’est généralement avec ces nouveaux projets que les entreprises font le choix du Cloud, avec un paiement à l’usage pour être réactives et agiles. Et la possibilité de tout arrêter si le nouveau projet ne prend pas.

Avec l’augmentation de ce besoin, toutes les entreprises de services ou hébergeurs historiques ne peuvent pas proposer, ou s’adapter, à ce modèle économique. Récemment, Claranet ou encore le Français Linkbynet ont annoncé vouloir se recentrer sur leur cœur de métier, le service, et devenir revendeurs d’offres Cloud Amazon pour être capables de répondre à la demande de leurs clients et continuer à opérer leurs services. Nous pouvons imaginer que beaucoup d’entreprises feront ce choix avec l’abandon progressif du marché des serveurs physiques tel qu’on le connait aujourd’hui. Des alternatives à Amazon deviendront donc une nécessité, avec un marché des revendeurs de Cloud qui deviendra plus mature d’ici 5 à 10 ans.

Cloud souverain vs réalité de entrepreneuriat

A l’inverse des mécanismes du Cloud souverain, la réalité du terrain est que les entrepreneurs se lancent généralement avec peu d’argent et font leurs preuves avant de communiquer. Des entreprises comme OVH ou Free sont de très bons exemples de réussite. En tant qu’entrepreneurs aujourd’hui, nous avons le sentiment que les politiques ne connaissent pas assez nos problématiques, notre travail. Nous attendons qu’ils nous accordent une vraie confiance plutôt que de tenter de se substituer aux entrepreneurs, comme sur ce projet.

Nous attendons simplement du gouvernement qu’il favorise l’émergence des technologies « clés » pour la souveraineté française ou européenne en simplifiant la vie des entreprises, par des incitations fiscales claires et très simples, en favorisant le choix de technologies françaises là où elles sont clairement compétitives face aux offres étrangères, notamment dans toutes les administrations, ou encore en favorisant l’existence d’une culture entrepreneuriale et économique dès l’école…

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