Stéphane Zibi Valtech

Objets connectés : prenons garde au précipice !

Tout le monde en parle avec des trémolos dans la voix. Les objets connectés promettent beaucoup, mais encore faut-il faire preuve d’intelligence et de retenue pour éviter un réveil difficile, selon Stéphane Zibi de Valtech.

Par Stéphane Zibi, Directeur du développement et de l’innovation chez Valtech France

Stéphane Zibi Valtech
Stéphane Zibi

L’an dernier, le Consumer Electronics Show de Las Vegas avait été marqué par les montres et télévisions intelligentes. L’édition 2014 a consacré les objets connectés. Vieille lubie des technophiles, ils sont en passe de profondément transformer notre quotidien dans les années à venir. Force est de constater que leur périmètre s’est accru avec de nouveaux produits et toujours plus de fonctionnalités. Sont concernés la maison, la santé, la voiture, le sport, le fitness, la cuisine… La tendance est telle que parler de l’Internet of Things (l’Internet des Objets) paraît déjà désuet ; ce phénomène est qualifié d’Internet of Everything (le « Tout-Internet ») tant il ne semble plus y avoir de limite. Tout est potentiellement connectable, tout devient connecté. La course –  entre les start-ups, les géants du Web et les grandes marques –  est définitivement lancée. Gartner table d’ailleurs sur plus de 26 milliards d’objets connectés à horizon 2020.

Cette frénésie semble se justifier aux vues des attentes du marché. Ainsi, 81% des Français ont déjà entendu parler des objets connectés (enquête CSA pour Havas Media, novembre 2013). Les objets les plus attrayants sont les voitures (mentionnées à 61%), les montres (49%), les réfrigérateurs (48%), les lunettes et pèse-personnes (38 %), les stylos (36 %), les bracelets (35 %), les vêtements (32 %), les chaussures (28 %), les brosses à dents (25 %) et les fourchettes (19%). Les consommateurs sont donc plus que prêts à les expérimenter.

Néanmoins, devant la multiplication des produits, il est légitime de se demander si nous ne sommes pas au seuil de « l’explosion de la bulle ». Empiriquement, les innovations technologiques suivent souvent le même modèle d’adoption et de maturation. Il y a d’abord une phase de bouillonnement et d’attentes très (trop) importantes. Viennent ensuite les premières désillusions, les critiques et les faillites. C’est la chute libre.  Finalement, après une drastique rationalisation de la technologie, c’est petit à petit que va démarrer son adoption définitive. Ainsi, le QR code et la réalité augmentée sont entrés dans cette phase de désenchantement, après avoir été à la mode. Or, beaucoup d’objets connectés semblent être des gadgets qui, une fois passée l’excitation des premières utilisations, risquent de tomber dans l’indifférence et l’oubli. Le désir est d’autant plus important qu’entre la commande sur une plateforme de crowdfunding et la réception de l’objet, il s’écoule plusieurs semaines/mois. Nous sommes au sommet de cette courbe d’attentes inflationnistes, prêts à franchir le précipice.

Comment éviter, du moins partiellement, ce réveil difficile ? Comme souvent, c’est la personne et/ou l’entreprise qui aura réussi à correctement « marketer » l’objet qui sera récompensée par les consommateurs. Et les enjeux sont de taille.

Hélas encore parfois négligée, l’expérience-utilisateur devra être optimale et la plus personnalisée possible : usages et fonctionnalités pertinents, interfaces agréables et fonctionnelles, design de qualité… C’est une condition sine qua none ! Libérer de certaines tâches rébarbatives, fluidifier les transactions et les échanges, instaurer une conversation permanente entre un consommateur et une marque ou encore permettre le self-improvement de l’utilisateur, la valeur ajoutée des objets connectés peut être multiple.

Attention aussi au « syndrome Rafale » ! La surenchère technologique peut s’avérer fatale à la longue : trop compliquée, trop coûteuse, elle rebute les utilisateurs. Le mieux est l’ennemi du bien. Par le passé, les devices les plus vendus (comme l’iPhone et l’iPad) « n’étaient » au final qu’un condensé des meilleures technologies disponibles. Aux fabricants de proposer une sélection adéquate et ce, sans oublier la compatibilité des appareils, des formats, des standards… D’ailleurs, il faut prévenir le risque de « cacophonie » : quel écosystème digital entre une montre, une bague, des lunettes, voire des lentilles, un bracelet, un smartphone, une tablette, et la ribambelle d’autres objets connectés qui va avec ? Il faudra définir des frontières précises entre tous ces devices pour éviter redondance et surabondance de l’information, à l’heure où beaucoup d’utilisateurs cherchent de temps à autre la déconnexion.

Enfin, trouver un juste équilibre dans le partage des données est nécessaire. Si jusqu’ici la majorité d’utilisateurs avait plutôt fermé les yeux, l’actualité est sans cesse là pour nous rappeler qu’il y a un pendant négatif – mais par nature indispensable – aux objets connectés : la collecte des données personnelles. Que ce soit Google, Facebook, Prism, les agissements de la NSA ou récemment le premier piratage à grande échelle d’objets connectés, de trop nombreux événements braquent les consommateurs. Afin d’éloigner le fantasme de « 1984 », seule une gestion responsable des données personnelles par les entreprises fera tomber le mur de la méfiance.

C’est à ce prix que les objets connectés trouveront leurs publics et perdureront, instaurant un « gagnant-gagnant » entre les utilisateurs et les marques.

A propos de Stéphane Zibi

Stéphane Zibi, 41 ans, une des personnalités de l’écosystème digital français, a rejoint  Valtech, l’agence de marketing technologique, en décembre dernier. Au sein de l’agence, il aura pour mission de développer les activités de marketing digital et l’innovation. Pionnier du digital, il a occupé différents postes chez l’annonceur, en agences ou dans des structures de conseil depuis 20 ans.  Après des études à La Sorbonne, Stéphane commence sa carrière en 1994 comme consultant dans un cabinet de conseil, en travaillant sur ses premiers projets sur Internet. Puis il intègre le Cabinet Pierre Frey, un cabinet d’avocats dans lequel il supervise les dossiers liés aux Nouvelles Technologies. En 1998, Stéphane rejoint Arte et deux ans plus tard, Babel@Stal. En 2003, il devient un des managers du studio de Doctissimo, avant d’intégrer Keyrus en tant que Directeur eBusiness. Stéphane se consacre ensuite au lancement des activités en France de l’agence Fjord,  agence anglaise spécialisée dans l’innovation et en service design. Puis rejoint Emakina.FR et organise son développement commercial. Stéphane accompagne de nombreux acteurs de l’écosystème digital (startups, institutions), en France et à l’étranger. Il participe également à la création du programme de formation de Stratégies/Paris Dauphine, où il donne des cours régulièrement. Stéphane est aussi un bloggeur émérite, il relaie l’actualité digitale sur www.stephanezibi.com.

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