ThemaTIC : la dématérialisation s’impose, avec ou sans crise

Cinq experts réunis autour de la table-ronde « ThemaTIC » ont fait le point le 3 juin sur la dématérialisation. Ces 5 experts ont pour noms Eric Duverger, directeur des ventes grands comptes & business de Manutan, Bruno Guiet, senior system engineer chez Brocade,  Julien Stern, directeur général de Cryptolog et Pascal Handy, chef de marché imprimantes et scanners professionnels chez Epson, ainsi que Maître Eric Caprioli, avocat et vice-président de la FNTC (Fédération Nationale des Tiers de Confiance).

Un cas d’usage très concret

Manutan a partagé son expérience. Chez le géant de la vente directe aux entreprises, donc familiarisé avec les approches numériques de la vente en ligne, la ‘démat’ a débuté par le traitement des télécopies, essentiellement des fax de commandes. Elle a permis de mettre fin à l’édition papier et a automatisé la distribution des fax.

C’est ensuite sous l’impulsion de ses grands clients, « qui nous ont fortement sollicités, voire gentiment imposé », souligne Eric Duverger, que l’entreprise est passée à la dématérialisation fiscale. L’enjeu du projet, géré par la comptabilité, est européen et colossal, puisqu’il portera à terme sur 400 000 factures par an ! La démarche a donc débuté par la recherche d’un fournisseur ayant cette envergure internationale. Une équipe projet a été montée, une maquette réalisée associant certains clients selon leur typologie, et la DGI interpelée, cette dernière ayant quasi évolué avec le projet tant la dématérialisation est novatrice.

La dématérialisation fiscale chez Manutan est également poussée par l’usage des cartes d’achats, qui participent à l’automatisation des processus de commande et de facture. Ces dernières sont directement intégrées dans l’ERP. Deux types de documents sont ainsi ‘expédiés’ au client ou au fournisseur, soit en EDI soit en PDF signé, même si la signature n’est pas exigée dans tous les pays d’Europe. Malgré l’existence d’une directive européenne, Maître Caprioli a souligné la difficulté à initier des projets de cette envergure, tant les législations des pays de la Communauté manquent d’harmonisation…

Passé les contraintes organisationnelles, Manutan constate au final que certains seuils de gains sont atteints, et qu’un ROI se dessine, même s’il « reste encore difficile à évaluer sur certains points, en particulier sur ses répercussions dans certains traitements humains ». Le constat est cependant plus que positif, avec la suppression des flux papier et l’automatisation des traitements, au point que le marchand à terme souhaite étendre l’expérience à l’ensemble de ses clients.

Scanner, traiter, transmettre et stocker

Pascal Handy, d’Epson, fait le constat de « l’augmentation des volumes d’informations, numériques et papier. C’est une tendance réelle, qui amène à une question : quoi faire et comment mettre de l’ordre ? » Même en période de crise, le fabricant d’imprimantes constate que les scanners de toute taille ne se sont jamais aussi bien vendus ! Pour faire face à ces volumes grossissants, la dématérialisation s’impose pour réduire la masse de papiers qui envahit l’entreprise et qui représente un vrai risque : « 70 % des entreprises font faillite après un incendie ! Il faut sécuriser l’information et disposer d’outils pour la retrouver. »

S’il est illusoire de penser pouvoir réduire l’usage du papier, les fabricants œuvrent sur d’autres axes, comme l’usage des imprimantes avec l’énergie et les consommables. L’usage… Voilà bien où il faut sensibiliser les utilisateurs. À n’imprimer que le nécessaire ou l’intéressant, et sur du matériel de proximité. Et aux avantages de partager un document écrit dématérialisé. Encore faut-il, au-delà du scan et de l’impression, disposer d’outils pour transférer, stocker et archiver les données…

À ce propos, Maître Caprioli a rappelé que si les règles de conservation des documents ont changé en 2008, abaissant les délais de stockage, elles ne s’appliquent qu’aux documents produits aujourd’hui, et tombent dès qu’une procédure est engagée. « Il appartient au chef d’entreprise, le seul responsable, de choisir sa politique d’édition et de conservation des documents… »

En revanche, l’entreprise doit dès à présent se préoccuper de la problématique de stockage des écrits sous une forme numérique. « Elle doit maintenir un accès à la donnée », souligne Bruno Guiet, de Brocade. Pour le spécialiste du stockage en réseau, fibre channel et stockage SAN sont indissociables pour disposer de la capacité de traiter les données dématérialisées, ainsi que le LAN giga Ethernet pour les flux de données entre le poste client et le serveur. Mais, s’il y a « différentes façons de transférer, de stocker et d’archiver les données, il faut impérativement s’intéresser à la protection des données, en particulier le chiffrement des flux. »

Sécurité et signature électronique

Le débat s’est – logiquement – ouvert sur la sécurité des données. La dématérialisation interpelle en effet quant à la valeur du document numérique face à un document écrit, imprimé et signé ? La solution est très certainement dans la signature électronique. « C’est une problématique, celle de la dématérialisation du document signé, souligne Julien Stern, de Cryptolog. Prenons la facture, c’est une problématique européenne : faut-il ou non une signature ? »

Se pose donc la question de savoir quel document signer et pourquoi ? Pour Julien Stern, la signature s’impose sur l’accord de confidentialité, tandis que Maître Caprioli s’interroge sur la nécessité de la signature, voire du document imprimé, sous la responsabilité du chef d’entreprise. Tous deux viennent démontrer que la question reste posée et que le débat reste ouvert…

Quant à la pérennité des données dématérialisées, voire signées, c’est tout le processus de la dématérialisation qui est soumis à questionnement. Qu’il s’agisse des systèmes d’archivage ou de la validité de la signature électronique, les premiers devront s’adapter et se rafraichir au rythme des évolutions technologiques, tandis que la seconde ne pourra, inévitablement, résister éternellement aux coups de boutoir des hackers qui cherchent à casser les clés de cryptage, ce qui nécessitera également longtemps encore de faire évoluer et de rafraichir régulièrement les signatures, tout en garantissant la traçabilité des événements afin de leur conserver une valeur probante.

Quand peut-on dématérialiser et pour quel ROI ?

« Peut-on dématérialiser de façon simple ? », s’interroge Julien Stern. À terme, il semble évident que la dématérialisation s’imposera dans tous les actes du quotidien, qu’il s’agisse de la sphère publique ou de la sphère privée. Encore faudra-t-il disposer des bons outils… Car chez les acteurs du marché, spécialistes de la dématérialisation comme de la signature électronique, chacun avance à son rythme, sur ses outils, et sur ses standards, ces derniers brillant par leur absence de la scène internationale.

Deux faits cependant dominent : dans l’entreprise, l’adoption d’une solution de dématérialisation et signature électronique n’est rentable que sur du volume, avec un coût décroissant au fur et à mesure que celui-ci augmente. Julien Stern évoque un seuil de rentabilité à 100 000 contrats, pour un ROI entre un et deux ans. Il faut prendre en compte les développements et adaptations spécifiques, le déploiement des processus, la formation et le reclassement des individus…

(Photo: P.Guiet, Brocade)

Chez Manutan, Eric Duverger évoque quant à lui un ROI immédiat, grâce à la suppression du document papier, de son impression, de l’enveloppe, du pliage et de l’insertion du document dans l’enveloppe, du timbre, des déplacements d’expédition, etc., jusque chez le client qui n’a plus à traiter le courrier. En intégrant l’investissement initial, le ROI total entre un et deux ans est validé. Pour la dématérialisation dans le cadre des usages individuels, tous attendent la sortie de la carte d’identité numérique… Bien que cette dernière soulève encore de nombreuses interrogations et que l’on puisse regretter la faiblesse ou les écarts des engagements gouvernementaux ! En revanche, quelque peu provocateur, Maître Caprioli affirme que la ‘démat’ chez les PME ne sert à rien, sous l’œil désapprobateur des témoins de la table ronde !

La conclusion est revenue à Pascal Handy qui, après une réflexion sur le rôle de la dématérialisation dans l’approche green des IT, souhaite relativiser la vision du développement durable qui envahit notre quotidien. « En Europe, comme l’affirme l’ONF (Office National des Forêts), l’utilisation du papier n’a pas d’effet écologique dévastateur. La gestion des forêts, le reboisement – il y a trois fois plus de forêts en France qu’au début du siècle dernier ! – et le recyclage font que l’Europe est autosuffisante. Il faudrait en revanche s’interroger sur le coût environnemental de la démultiplication des IT. Et comparer le coût écologique du papier face au clic de souris… » Un autre débat est lancé, tandis que la table ronde ThemaTIC sur la dématérialisation touche à sa fin.