Interview exclusive de Viviane Reding, commissaire européenne en charge des télécoms

Alors que la vote du Paquet Télécoms à la Commission européenne est sur toute les lèvres, Viviane Reding, la très redoutée commissaire en charge de la Société de l’information et des Médias revient sur les tenants et les aboutissants de cet ensemble stratégique de textes.
Dans cette première partie, la commissaire aborde les problématiques liées aux fréquences, à la régulation, à la sécurité, à la vie privée, aux droits d’auteurs et au piratage….

Le Paquet Télécom adopté par les eurodéputés correspond-il à vos attentes ?

Le Parlement européen a exprimé son avis sur le Paquet Télécoms lors de son vote en session plénière le 24 septembre dernier. Je me réjouis tout d’abord que les Parlementaires aient voté en faveur du régulateur européen des télécommunications, bien que son format soit plus petit que celui que la Commission européenne avait initialement proposé. Je suis également satisfaite de constater que la séparation fonctionnelle, le nouveau remède mis à disposition des autorités nationales de régulation pour améliorer la concurrence sur les marchés, ait été soutenu par le Parlement européen. Certains pays comme le Royaume-Uni l’utilisent déjà et d’autres l’envisagent très sérieusement (Suède, Pologne et Grèce).

De plus, je suis reconnaissante au Parlement pour son soutien concernant la transparence et l’amélioration de l’information des consommateurs. Sur tous ces points, ainsi que sur nos propositions visant à améliorer l’accès des personnes handicapées aux services de télécommunications, et l’efficacité du numéro d’appel d’urgence, le 112, je crois que la Commission comme le Parlement ont fait preuve de courage et de détermination.

En ce qui concerne l’utilisation du spectre, la demande du Parlement européen pour davantage de flexibilité et d’harmonisation me paraît tout à fait légitime mais j’espère que des solutions plus ambitieuses pourront être trouvées de sorte que l’Europe gère son spectre, qui rappelons-le est une ressource limitée, le plus efficacement possible afin par exemple de favoriser l’accès de tous les Européens au haut débit.

Au final, les consommateurs et les entreprises seront les grands gagnants de la réforme du marché des Télécoms en Europe et c’est ce qui compte le plus à mes yeux !

La nouvelle législation introduit l’obligation de signaler les internautes qui piratent des contenus protégés. Comment adapter ce texte à des contextes nationaux très hétérogènes ?

La lutte contre le piratage ne peut être effective qu’avec la coopération de tous: les principaux représentants de l’industrie du cinéma et du contenu, les fournisseurs de services internet et les opérateurs de télécommunications. La protection du droit d’auteur et, à travers elle, de la créativité en ligne doivent être garanties. C’est une dimension que la Commission a souhaité pendre en compte : faire en sorte que les consommateurs soient clairement informés, avant la conclusion de leur contrat avec un opérateur, et régulièrement par la suite, de leurs obligations en matière de respect de droits d’auteur et des conséquences juridiques qu’ils encourent s’ils enfreignent la loi.

Cependant, le Parlement européen et le Conseil ont introduit divers amendements à notre texte pour mettre en valeur l’intérêt public, et par conséquent le rôle des pouvoirs publics, dans le respect des droits d’auteur. Les administrations nationales auraient donc pour mission de promouvoir la coopération entre les fournisseurs services de télécommunications et les secteurs liés à l’industrie du contenu.

Certains pays comme la France prévoient des mesures répressives, comme la coupure de l’abonnement Internet pour les récidivistes…

Alors que le piratage reste une préoccupation centrale, il n’y a pas de véritable coopération entre les acteurs dans la plupart des pays européens, à l’exception sans doute de la France qui a suscité un vrai débat sur le rapport Olivennes. La Commission a l’intention d’encourager la mise en place de «codes de bonne conduite» entre les acteurs, notamment pour développer les offres légales, mettre en place des initiatives éducatives et des lois contre les services qui encouragent et facilitent les infractions, et enfin faciliter l’engagement des fournisseurs de services en ligne à remédier rapidement aux violations des droits d’auteur.

En même temps, il me semble indispensable de laisser aux Etats membres la liberté de trouver un bon équilibre entre la nécessité de lutter contre la piraterie en ligne et d’autres objectifs tout aussi importants, tels que l’accès à haut débit pour tous, l’accès universel aux services de communications et les droits et libertés individuelles en ligne.

 

Pourtant, certains critiquent l’intrusion de telles mesures dans la vie privée des internautes, mesures qui paradoxalement, mettent l’accent sur le respect des donnés personnels. Quelle est votre réaction ?

D’abord, il ne faut pas oublier que les opérateurs sont tenus de respecter certaines restrictions par rapport à la diffusion du contenu illégal, conformément à la directive de 2000 sur le commerce électronique. Ils doivent ainsi se conformer à la législation de l’UE sur le droit d’auteur et l’application des droits de propriété intellectuelle.

Il est également important que les utilisateurs soient clairement informés, à l’avance, qu’ils courent un risque s’ils piratent du contenu en ligne.
D’après moi, les mesures proposées par la Commission respectent le principe de proportionnalité et contribuent efficacement à la lutte contre le piratage en ligne.

Cependant, contrôler ou filtrer le contenu qui passe par les réseaux doit être fait avec la plus grande prudence. Il ne s’agit pas non plus de jouer avec la protection de la vie privée des internautes européens!

La création d’une agence de la sécurité des réseaux n’a pas été retenue. Quelle sera, alors, la nouvelle direction prise par la Commission pour garantir un Internet avec toutes les garanties de sécurité ?

Permettez-moi de rappeler que la Commission est active dans le domaine de la sécurité des réseaux et de l’information depuis plus de dix ans. En 2006, nous avions proposé une stratégie pour sécuriser la société de l’information que le Conseil européen avait accueillie favorablement. Celle-ci soulignait déjà la nécessité de construire un système multilingue européen de partage d’informations et d’alerte entre les parties prenantes (fournisseurs de services, régulateurs nationaux, …etc.). J’ai donc demandé en 2006 à l’Agence européenne pour la sécurité des réseaux et de l’information (ENISA), d’examiner comment mettre en place un tel système et le lancement d’un prototype est d’ailleurs prévu très prochainement.

Au-delà de ces initiatives, les attaques du printemps 2007 sur l’internet estonien ont démontré non seulement l’impact que ce genre d’événement avait sur nos économies nationales et notre tissu social mais surtout notre dépendance vis-à-vis des infrastructures informatiques.

Pour prémunir l’Europe de ce genre de mésaventure, il est donc temps d’agir. L’exemple estonien nous a permis de tirer les leçons et de travailler à une réponse au niveau européen.

C’est pourquoi nous lancerons début 2009 une initiative sur la protection des infrastructures critiques, c’est-à-dire des réseaux informatiques tels internet et la téléphonie. Cette initiative vise à améliorer notre niveau de préparation et de sensibilisation ainsi que notre capacité de réponse. Pour ce faire, chaque Etat membre devrait disposer de moyens e
t structures adéquats. Puisque les réseaux sont aujourd’hui essentiellement privés, les secteurs privé et public doivent pouvoir interagir rapidement, ce qui nécessite des partenariats public-privé de confiance dans lesquels le partage d’informations est nécessaire. Et comme Internet ignore les frontières, nous devons renforcer notre capacité d’interaction avec nos partenaires internationaux. Il s’agit tout simplement de se préparer à affronter ce type d’ incident du mieux possible grâce à des plans de contingence et à des exercices de défaillances à grande échelle par exemple.
La prolongation du mandat d’ENISA jusqu’en mars 2012 et la nécessité de mieux faire face aux cyber-attaques potentielles nous poussent à lancer une réflexion de fond sur la sécurité des réseaux.

C’est pourquoi nous préparons une consultation publique qui sera lancée incessamment sous peu. Par ailleurs, les propositions de la Commission visant le renforcement de la sécurité des réseaux et des services présentes dans notre Paquet Télécoms ont trouvé un écho auprès du Parlement européen lors de son vote en séance plénière. Je suis donc optimiste et persuadée qu’on trouvera les solutions appropriées pour une coopération optimale des différents acteurs dans ce domaine.